Susie Napper, viole de gambe

Comme l’écrivait Tobias Hume en 1605 : « Pour employer un modeste raccourci et une brève expression de ma nature à l’intention de tous les nobles esprits », j’ai été nommée Femme de mérite à Montréal en 2011 et Personnalité de l’année aux Prix Opus 2002!

Violoncelliste, gambiste, continuiste par excellence, je suscite autant de louanges que d’admonestations par mes interprétations colorées et audacieuses du répertoire baroque pour instrument seul ou de musique de chambre!

Rebelle dans l’âme, issue d’un milieu artistique londonien, j’ai participé, adolescente, à la première exécution d’œuvres de Ligeti et de Stockhausen ainsi qu’à des productions d’art-performance sur la scène alternative. À l’opposé, j’ai fait des études à l’école Juilliard de New York à l’apogée du mouvement de résistance contre la guerre du Vietnam, ainsi qu’au Conservatoire de Paris à la fin des troubles étudiants de Mai 68.

Puis ce fut San Francisco, où, vivant une révélation en recevant une basse de viole, je me suis jetée tête première dans une vision hip et new-wave de la musique baroque. J’ai appris la viole toute seule en jouant, en lisant des traités et en créant de nouveaux styles d’interprétation inspirés des styles anciens!

En 1676, Thomas Mace a exprimé ce que j’avais ressenti : j’ai été captivée avec une sensibilité, une ferveur et un zèle redoublés, et attirée vers des contemplations et des ravissements divins par cette rhétorique inexprimable, ces persuasions incontrôlables et ces instructions sur le divin langage de la Musique.

En plus de cofonder le Philharmonia Baroque Orchestra avec mon partenaire et ma source d’inspiration, le regretté hautboïste baroque et écrivain Bruce Haynes, j’ai passé avec lui des décennies à élever de charmants enfants et à faire de la musique à Montréal, où j’ai fondé le Festival Montréal Baroque, un véhicule unificateur pour les multiples talents de la communauté montréalaise de musique ancienne.

Au centre de mon domaine et de mes plaisirs toujours renouvelés, ma cuisine est un haut lieu où naissent des plats colorés, savoureux et créatifs, qui font écho à mon goût musical pour la surprise, l’émotion et l’inspiration!

Vers 1794, Sloane a parfaitement décrit ma vision de l’art musical : « Il doit y avoir un ordre et une juste proportion, une complexité née de la simplicité des composantes, de la variété dans la masse, et de la lumière et de l’ombre dans l’ensemble, afin de produire des sensations variées : la gaîté et la mélancolie, la fureur, voire la surprise et l’émerveillement… »

Depuis des lustres, un pied de chaque côté de l’Atlantique, j’enregistre, je donne des concerts et j’enseigne à Montréal et à Copenhague, et je fais des tournées en Europe, en Extrême-Orient et en Océanie, souvent avec ma complice musicale Margaret Little au sein du duo de violes Les Voix humaines.

Parmi nos dizaines d’enregistrements, l’intégrale des Concerts a deux violes esgales du Sieur de Sainte-Colombe est un des plus marquants, et nos arrangements de pièces puisées dans le vaste répertoire baroque suscitent l’amusement de notre auditoire… et le nôtre!

Louangée ou critiquée pour mon utilisation du rubato, ma liberté d’expression générale, la diversité de mes coups d’archet et mon inaltérable préférence pour l’harmonie aux dépens de la mélodie, je suis constamment à la recherche du sens rhétorique et de l’éloquence qui donneront vie à la partition!

Comme le disait Thomas Mace en 1676 : quand nous devenons des maîtres, nous arrivons à commander tous les aspects du temps, à notre loisir; nous pouvons dès lors prendre la liberté, au nom de l’humour et de la belle ornementation, de casser le temps; parfois plus vite, parfois plus lentement, selon notre perception de ce qu’exige la nature de l’objet, ajoutant ainsi beaucoup de grâce et de lustre à l’exécution.